NUITS D'ÉTÉ - DEUXIÈME BIVOUAC

UNE NUIT DANS LE VAL-DE-VIRIEU

#6 Une nuit dans le Val-de-Virieu

JongkingC’est à la rencontre de Jongking, Johan Barthold de son prénom, peintre hollandais aux yeux bleus, que je vous convie pour cette deuxième nuit. Le grand Claude Monet en parlait comme « un brave homme tout simple, écorchant abominablement le français, très timide. » Et il rajoutait que c’était à lui qu’il devait l’éducation définitive de son œil. La grande découverte de réaliser de la peinture non pas comme on voit mais comme on sent. Une révolution dans laquelle s’engouffreront ses célèbres successeurs. L’arrivée des tubes de couleur fera sortir les peintres impressionnistes « sur le motif », chevalets au vent et chapeaux en paille, à la conquête du nouveau réel. De l’église de Virieu jusqu’aux châteaux environnants, cette petite vallée et ses beaux paysages furent un domaine qu’il parcouru longtemps, aquarelle en poche et yeux grand ouverts.

#7 La vraie campagne

VirieuLes vallons alternent blés et fourrages et les imposantes vaches charolaises ruminent à chaque coin de pré. Bêtes gonflées de muscles, fierté des éleveurs, en atteste une étable décorée de récompenses comme un général soviétique. L’ensemble des bâtiments du Val-de-Virieu est traité avec soin, de la ferme isolée au château médiéval. Ce sont les détails qui font aussi l’élégance de l’architecture qu’elle soit rurale ou de prestige. Jongking, que les paysans appelaient affectueusement Père Jonquille, venait voir régulièrement le fils de sa compagne, marmiton au château de Pupetières. La maison qu’il occupait domine toujours le vallon et son château à tourelles romantiques. Je ne peux m’empêcher de le croquer revenant de la chapelle abritée dans la tourelle du parc.

#8 Au château !

Le château de VirieuC’est Louis XIII en personne qui vint visiter les De Virieu dans une chambre que l’on décora à grand frais aux couleurs de sa Majesté. Il y dormit une nuit, offrit des canons, et on laissa comme le veut la tradition, la pièce sous scellé, le représentant de droit divin devant rester le seul à avoir occupé le baldaquin. Tout roi qu’il était, Louis le Juste obéissait docilement à ses docteurs. C’est ainsi qu’il passait bien inconfortablement ses nuits assis, la position allongée étant réputée comme quasi mortelle. La porte bardée de fer pour résister aux coups de bélier se referma sur le monarque remontant à ses affaires près de Richelieu, laissant aux Comtes de Virieu et à leur château un souvenir éternel.

#9 Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais

VirieuLe grand Lamartine rencontra Aymon de Virieu sur les bancs de l’école. Il faut les imaginer tous deux 28 ans, déambulant dans les ruines, que l’un contemplait mélancoliquement et que l’autre envisagait de recontruire. Alphonse y écrivit ses Méditations, abîme absolu du romantisme, et Aymon, en faisant fortune dans le commerce des tuiles vernissées, pu réaliser son rêve.

"Le Vallon"

Mon cœur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.
Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

# 10 Au bois dormant

Vue du château avec un cygne dessiné dans le ciel en haut à droiteDécouvrir les donjons vernissés qui brillent au soleil sous « les bois épais » du poète, nous plongent dans une gravure du merveilleux Gustave Doré. C’est un château de conte de Grimm, entièrement reconstruit par l’équipe de Viollet-le-Duc. Le propriétaire, amateur de notre peintre hollandais, vient de se procurer en Angleterre une délicate aquarelle de son domaine, signée Jongking. Dans son château endormi, les placards s’ouvrent sur des usages d’autrefois, comme cette étagère cachant les deux cents tabliers de cuisiniers attendant la venue d’un roi. Mon bivouac se déroule au bord du lac des cygnes. Une belle nuit et un matin doux me permettent de remplir une dernière fois mon carnet. Et je pars sur la pointe des pieds de peur de réveiller une princesse…