Le Dépaysement

À l’été 2020, la saison 04 de Paysage>Paysages aura pour fil conducteur le dépaysement et profitera des beaux jours pour proposer au public notamment des expériences dépaysantes de plein air, des paysages en vacances dans les parcs publics, les lacs, les alpages, les refuges...

Le dépaysement qualifie une certaine émotion, ressentie lors de l’immersion dans un paysage inconnu ou dans une société différente de celle de notre vie quotidienne. Cette émotion peut prendre des formes multiples – excitante ou inquiétante, stimulante ou mélancolique...

•    Le dépaysement fut longtemps le privilège du voyageur, puis du touriste occidental. Il est synonyme d’exotisme, et masque souvent l’absence d’une véritable épreuve de l’altérité. Le timbre-poste, la carte postale et le dépliant d’agence de voyage en sont les icones. Mais on peut se dépayser dans son voisinage proche, dans la solitude d’une longue traversée en forêt ou encore devant la démesure de la haute montagne.

•    Le déracinement nous ramène au sens premier du verbe « dé-payser » qui garde au préfixe privatif toute sa force : l’arrachement à son pays et l’arrachement à soi-même. Ici notre alter-ego est porteur et héritier d’autres paysages. Si « le paysage c’est ce qui reste une fois qu’on a fermé les yeux » comme l’affirme Gilles Clément, ce constat illustre combien le dépaysement met en jeu des liens invisibles, noués entre un lieu et un corps. Une simple odeur de cuisine, un parfum, un accent ou un chant dépayse ou permet de renouer avec une part enfouie de soi-même.

•    La désorientation de celui qui demeure et travaille au pays mais constate combien celui-ci n’est plus familier, comme « dépaysé » lui aussi, vacant, noyé dans une uniformisation planétaire. Ce désaccordage du lieu à ses soubassements - aux usages et complicités accumulés au fil du temps - est une autre face du dépaysement, celle de la déterritorialisation. Les lieux de l’industrie touristique, de l’industrie agricole, des hubs de transport et plateformes offshore occupent le pays comme une armée étrangère, dans l’amnésie des appartenances.

•    Enfin les grandes œuvres d’art ont un souffle, une texture irréductible aux conventions familières et aux goûts stabilisés qui nous bouleverse. Elles anticipent notre destinée collective, actualisent et parfois reconfigurent nos vies individuelles par ce face à face avec le « dérèglement de tous les sens » exprimé par Rimbaud. Les utopies urbaines, les folies architecturales en cristallisent une forme territorialisée.

Philippe Mouillon - LABORATOIRE