Nuits d'été - Premier bivouac
Une nuit au Jas-neuf
#1 La montée vers la lumière
Il est cinq heures du matin et l’immense vague des brebis se déploie vers les Hauts-plateaux du Vercors. Véronique, la propriétaire, guide le troupeau depuis Romeyer, petit village au nord de Die. 2 800 bêtes qui quittent leur Gard natal pour revenir, chaque année depuis 15 ans, brouter tout l’été l’herbe fleurie de ces plateaux perchés à plus de 1700m. Une troupe faite de brebis et de leurs agneaux de l’année, accompagnés des chiens dont les grands Bergers des Pyrénées, les patous dont la voix énorme éloigne les loups.
En trois heures de raide montée, les défilés de calcaire sont franchis pour arriver au pas de Chabrinel, porte d’entrée de la Réserve des Hauts-Plateaux du Vercors et ses immenses alpages.
#2 L’arrivée au port
Les menons sont des béliers castrés familiers, qui guident le troupeau. Au moment de la tonte, on leur laisse des touffes de laine sur le dos pour servir de repère aux brebis, qui, grégaires par nature, n’avanceront qu’en suivant leurs congénères. L’arrivée dans la lumière et l’herbe grasse est une réjouissance pour tous. Véronique, la propriétaire, laisse tout son troupeau aux deux bergers qui devront ramener les bêtes en forme à la fin de l’été, pendant qu’elle s’occupera de ramasser les foins dans sa ferme gardoise. La confiance entre propriétaire et berger est belle à voir. On compte les bêtes, chacun ayant la moitié du troupeau et du territoire à entretenir jusqu’à la fin septembre. La propriétaire remontera tous les 15 jours amener le frais et prendre le linge à laver, les laissant vivre en ermites parmi les grasses joubarbes et les marmottes siffleuses.
#3 Un toit de calcaire et d’herbe
La plus vaste réserve de France est un immense plateau qui, depuis plus de mille ans, sert de paturages pour l’été. Le grand troupeau est accueilli le premier jour à la cabane des Bachassons, dominée par les fameux bachassons, vieux abreuvoirs en bois abandonnés. Le logis du berger est un abri particulièrement sommaire pour y passer tout l’été. Un lit et de quoi mettre ses provisions fera l’affaire pour les trois mois. Sous l’immense ciel que rien ne vient accrocher, un désert de calcaire et de fleurs s’étend, suspendu à perte de vue. Pour le marcheur qui ose sortir des chemins, les indications sont réduites au minimum : quelques amas de pierre appelés cairns, deux ou trois arbres taillés qui pourront autant vous guider que vous perdre. Gardez-vous de vous éloigner du sentier de grande randonnée qui le traverse de part en part. Et en ce début d’été les quelques sources cachées n’ont à donner qu’un filet d’eau plus maigre qu’un doigt d’enfant !
#4 Il était une bergère
J’ai rejoint la bergère qui garde ses bêtes à quelques encablures du Mont-Aiguille. Elle s’octroie une dernière cigarette pour clore la journée bien remplie, pendant que le soleil se couche. C’est le moment de rentrer les bêtes dans le parc où les patous pourront les défendre des attaques du loup. Je me fait offrir un thé dans la grande pièce à vivre du Jas-neuf . La bergère exerce ce métier depuis la fin de ses études agricoles. Elle a bourlingué sa passion des moutons partout où la culture de la transhumance des troupeaux est forte, Suisse, Italie ou Etats-Unis. Passion qui n’a d'égal que celle du dessin de fleurs ou de la pratique du violoncelle, qu’elle a parfois emmené sous son bras pour un été. Le soir tombe et je rejoins ma chambre et son lit à l’ancienne. Dès six heures il faut se lever pour aller voir la troupe qui attend d’être libérée de sa clôture, les têtes tournées comme un seul homme vers la bergère. L’attachement à la race Mérinos est resté vive chez les transhumants. Très rustiques ces animaux se reconnaissent à l’épaisseur de leur manteau laineux très envahissant jusqu’à leur manger parfois les yeux. Les béliers qui restent dans la plaine ont des cornes toronnées particulièrement imposantes.
#5 Loup y es tu ?
Le loup est partout sur les Hauts-plateaux. Arrivée ici il y a 15 jours, la bergère l’a déjà vu surveiller de loin le troupeau. Sans les gros bergers des Pyrénées fournis par les propriétaires, toutes ces bêtes deviendraient vite un garde-manger en open-bar pour ce prédateur particulièrement intelligent. Les chiens patous naissent dans la bergerie, c’est dire si leur intimité avec le troupeau est forte. Une taille imposante, une voix redoutable sont les atouts de ces molosses qui défendent le troupeau comme s’il s’agissait de leur famille. C’est pourquoi gardez-vous d’approcher un troupeau, à moins que vous ne soyez friants d’expériences fortes. Trois énormes chiens aux babines retroussées pourraient faire plus que vous intimider. Et depuis quelques années ils reçoivent le renfort de dogues anatoliens, qui ne se contentent pas d’effrayer mais osent se battre contre l’animal. Afin de leur protéger leur garrot on leur fait porter un impressionnant collier clouté. Voici pour la protection. Pour la conduite, seul le Border-Collie oreilles noires et collier blanc est à la manœuvre. Il appartient toujours au berger, qui pour rien au monde ne voudrait s’en séparer.