NUITS D'ÉTÉ - TROISIÈME BIVOUAC

Une nuit au Moucherotte

#11 A la recherche de la beauté

Moucherotte #11Apollon se cacherait donc sur les pentes du Moucherotte ! Je l’imaginais plutôt sur le Mont Parnasse, cher aux Grecs anciens. Pour dénicher cette beauté, il faut savoir qu’il passe, comme tout Don Juan, ses journées d’été à papillonner jusqu’au coucher du soleil… Ne vous attendez pourtant pas à une chronique de marivaudage. Ce soir en dépassant les grandes lames de pierre des Trois-Pucelles, c’est à l’affût du grand « Apolloneus Parnassius » que je vous convie, blanc papillon des montagnes, protégé comme un demi-dieu.

#12 Un monde s’ouvre

Moucherotte Afin de rencontrer cette beauté, j’accompagne Arnaud, responsable des Espaces naturels sensibles, dans une de ses sorties d’observation. Un vidéaste est de la partie, pour tirer le portrait de la vedette du soir.
Marcher en compagnie d’un naturaliste vous transforme le regard, vos yeux s’ouvrant sur l’
insoupçonné. Il est en effet le seul à remarquer une petite musaraigne, qui a fini sa vie sur le milieu du chemin. Cette proche parente de la souris, ne se nourrit que d’insectes. Ce qui l’oblige à courir de tout temps et partout. Son petit cœur de cardiaque bat en permanence à tout rompre, ce qui explique son air d’éternelle agitée.
Nous nous élevons au dessus du Val de Saint-Nizier qui doucement attend le soir. Sur le chemin ensoleillé, un Moro-Sphynx, plus colibri que papillon, plonge, outillé de sa grande trompe, dans les gorges chaudes des fleurs chauffées au soleil.

#13 Appolonius Parnassius

PapillonsSur le chemin raide et caillouteux baigné de la lumière du soir, nous surprenons soudainement le fils de Zeus, butinant de massif en massif. Le rendez-vous était loin d’être assuré, nous avons de la chance, la joie de notre équipe est palpable : deux spécimens courent à perdre haleine, choisissant les fleurs roses comme unique nourriture. Leurs grandes ailes blanches leur servent de panneaux solaires, à tel point qu’un nuage peut les condamner immédiatement au repos forcé. Le drap du soir prend lentement possession du ciel, l’Apollon en panne sèche cherche une tige pour la nuit. Fera-t-il de beaux rêves, balloté par la brise ? Dès l’évaporation de la rosée du matin, il recommencera sa folle course de butineur. Il est temps pour moi de trouver un lieu pour mon bivouac. Ce belvédère au-dessus de Grenoble qui s’endort sera parfait.

#14 Dès l’aube

Moucherotte L’heure d’avant le lever du soleil reste pour Arnaud le « moment magique ». Nous pénétrons à pas feutrés dans la petite combe fraîche de la Cheminée, l’un derrière l’autre. Un naturaliste à l’affût ne se départit jamais de sa paire de jumelles. Mais aux aguets, c’est l’ouïe qui est son premier sens. Un « teck teck » en saccade mitraillée dans les sous-bois et c’est un Pic Epeiche que je n’aurai jamais pu repérer seul, qui part fouiller de son bec un épicéa touché par la foudre. Il prend son temps, le garde-manger est visiblement garni. La nature s’entend, se regarde et se mange aussi ! Arnaud comme un fakir, cueille délicatement des feuilles d’orties, les roule en écrasant fortement les capsules irritantes, et avale en souriant ce nem végétarien gorgé de chlorophylle, l’écrasement ayant rendu inoffensif cette plante redoutée. Un moment pour remplir le cahier de liaison dans le futur abri pédagogique et nous voici au sommet, comme des capitaines au bastingage de l’immense plateau du Vercors. Tout au loin la bergerie du Jas-Neuf et sa mer de brebis se réveille.

#15 Sous le soleil exactement

BBUn petit plateau, plat comme la main, avec ses pins à crochets qui le grignotent, comme si rien ne s’était passé ici. Et pourtant, sur ce sommet à 1900 m d’altitude, un promoteur audacieux installa, un jour de 1953, un des plus beaux hôtels des Alpes. 26 chambres, deux suites, et comble de la modernité, moquette à tous les étages. Le succès fut immédiat, les stars de l’époque se précipitèrent sur les balcons de « l’Ermitage », dont le luxe était bien évidement à l’exact opposé de ce qu’exige une vie érémitique.  Roger Vadim y dirigea Brigitte Bardot dans « La bride sur le cou ». Le film, parfait navet, ne restera pas dans la mémoire des cinéphiles, alors que la venue de B.B. et de son incroyable bonnet de laine blanche est une histoire ancrée dans l’imaginaire des Grenoblois. Mais l’hôtel possédait un talon d’Achille : son accès par câble interdisait toute redescente en cas de vent. La belle Brigitte lasse d’attendre que la bise se calme, dut se résoudre à emprunter la barquette d’un pisteur-secouriste, qui le raconte encore. Hôtel dût fermer en 1975 puis fut détruit vingt années plus tard, rendant totalement à la nature ce lieu de fêtes.